Batman Legend in Crisis #1 : Heroes in Crisis
Publié le 18 février 2020 par Moyocoyani
Sur Batman Legend, on a l’habitude de vous proposer des reviews des œuvres mettant en scène le chevalier noir. Comme vous vous en doutez, notre petite équipe n’a pourtant pas toujours (souvent ?) la même opinion sur les comics, films et informations concernant notre super-héros préféré…
C’est pourquoi nous avons décidé de vous proposer ce format, où nos rédacteurs prennent position Pour ou Contre un sujet prédéfini, et tentent de vous convaincre de rallier leur cause.
Pourquoi alors ne pas commencer par le polémique Heroes in Crisis ? Aujourd’hui, Andresy défendra le comics de Tom King récemment paru en VF chez Urban Comics, quand Moyocoyani détaillera ses griefs.
Bien entendu, vous pouvez participer à la bataille en votant à la fin de cet article et/ou en laissant votre avis dans les commentaires 😉
Andresy : C’est un OUI !
Une bonne surprise. C’est ainsi que je pourrais résumer ma première impression concernant Heroes in Crisis.
King s’appuie sur une excellente idée, assez novatrice au final, qui sert de décor et de justificatif à une intrigue par ailleurs assez classique dans l’univers DC.
Cette idée c’est d’exposer les Syndromes de Désordres Post-Traumatiques (PTSD) de la quasi-totalité des personnages DC (en particulier les héros, mais pas que).
Le sous-texte (très « Batmanien » pour le coup) c’est que tous ces héros, dont une bonne partie sont dotés de super-pouvoirs divers et variés, ont des failles psychologiques, subissent des traumatismes dans leurs activités héroïques. Ils subissent des échecs. Sont assaillis de doutes, de questions, de peurs. Ils ont tous un peu de Batman en eux …
En général, dans ce cas-là, on va voir un psy. Le problème, c’est que quand on est super-héros, c’est un peu plus compliqué. On est connu. On est censé être fort. Courageux.
Pour pallier ce problème, Batman, Superman et Wonder Woman ont créé à la fois un lieu (le Sanctuaire) et une sorte d’intelligence artificielle doublée d’un système de réalité virtuelle destiné à évacuer (dans la mesure du possible) ces troubles.
Voilà le décor. Et « seulement » le décor. Et c’est évidemment ce qui fait tout le sel de cet arc, décliné en 9 épisodes. Pour le reste, un événement – forcément dramatique, meurtrier, tragique – va venir bouleverser ce (fragile) équilibre, événement que je ne détaillerai pas pour ne pas spoiler les lecteurs. Mais pour faire simple, un super-héros a commis un meurtre de masse au sein de sa propre confrérie, dans le Sanctuaire-même. Comment ? Pourquoi ? Quel cataclysme mental a pu le pousser à cette extrémité ? Au centre de cette intrigue psychologique, on retrouve (avouons que ce n’est pas un hasard, et c’était même inévitable) notre incontournable Harley Quinn qui est absolument géniale tout au long du récit. Notons par ailleurs qu’elle forme un duo plutôt émouvant avec Batgirl, et qu’au-delà, les personnages féminins sont assez mis en valeur par rapport à leurs homologues masculins.
Précisons-le assez rapidement : Heroes in Crisis est un crossover DC, pas une aventure de la Justice League. Donc, si les piliers de l’univers DC sont bien présents (dont notre Dark Knight vénéré, moins incontournable qu’à l’accoutumée), ils n’occupent pas les premiers rôles. Et c’est plutôt une bonne idée. Cela permet de (re)découvrir certains personnages qui méritent aussi d’être approfondis : Wally West, Arsenal, Commander Steel, Blue Beetle, Booster Gold…
La lecture est rapide. Les épisodes sont assez courts. Et le paradoxe, assez sympathique, c’est que le récit prend son temps, surtout dans les 5-6 premiers épisodes. On est loin des blockbusters interminables style Batman Forever ou Metal. Chaque épisode est rythmé par les aperçus/extraits des « séances de psychothérapie » de personnages/héros devant le psy virtuel du Sanctuaire. À mon sens, la plus grande réussite de l’œuvre. Juste des visages devant une caméra (notre regard). Certains sont directement liés à l’intrigue. D’autres pas du tout, mais restent particulièrement réjouissants et « collent » parfaitement à l’esprit des personnages de DC (Catwoman apparaît sur une seule case et dit un seul mot… devinez lequel) avec un fan-service assumé. Les confessions ou simplement ce que les intéressés s’autorisent à dire (ou pas) sont très révélateurs des personnages. Et les silences sont parfois très éloquents.
L’aspect de l’intrigue policière est sans doute le moins réussi. Il y avait à mon sens un piège dans lequel King n’a pu éviter de tomber : avec autant de personnages, autant de choses à (vouloir) raconter, dans un format finalement aussi court, il est difficile de faire émerger une enquête policière correctement ficelée. King n’est pas Moore. Ainsi, les choses se précipitent un peu dans les derniers épisodes ce qui tranche avec la narration toute en finesse du début.
Une autre thématique fort intéressante concerne le rapport à la Vérité. La Vérité étant ici la fragilité psychologique des super-héros et le dilemme (au centre duquel on retrouve, autre grande figure du féminisme version DC, Lois Lane herself) de savoir si cette fragilité doit être connue, diffusée. Et le rapport à la Vérité rejoint alors le rapport à la Foi. Peut-on garder la Foi en des héros fragiles, finalement si humains, et dont il devient avéré que leur fragilité peut les pousser dans les agissements les plus dramatiques.
On est donc devant un méga-crossover, axé sur la psychologie, même si l’intrigue policière en elle-même n’exploite pas énormément cet aspect, ce qui aurait ajouté un plus indéniable.
Tom King est inspiré et ouvre l’univers DC sur une thématique jamais explorée de façon aussi collégiale. Il y a fort à parier que ce concept pourra être exploité et approfondi dans d’autres arcs, maintenant que cette porte est ouverte.
Les graphismes de Clay Mann et de Tomeu Morey rendent le récit particulièrement agréable à suivre. Les couleurs vives et chatoyantes contrastent souvent avec la noirceur de certaines psychés, ce qui donne un aspect tout à fait particulier à l’œuvre. Sombre, mais fun.
Alors, même si tout n’est pas parfait, nous sommes devant une création originale, dans un format lui-même original… King réussit à poser une nouvelle pierre fondatrice à l’univers DC….
Une bonne surprise !
Siegfried « Moyocoyani » Würtz : C’est un NON !
Puisque nous sommes sur Batman Legend, commençons par parler de Batman, qui aurait pu trouver dans Heroes in Crisis l’un de ses grands rôles secondaires, façon Identity Crisis, puisqu’il est bien au centre du récit. C’est lui qui met en place Sanctuary, cette idée si batmanienne d’une maison de repos pour super-héros traumatisés, leur offrant l’occasion de discuter avec une machine effaçant immédiatement leurs confessions et des moyens hallucinogènes de se reconstruire.
Après la destruction de Sanctuary et le meurtre de masse de ses résidents, le super-détective se plonge évidemment dans l’affaire, de façon étonnamment clinique… et inefficace. C’est que le récit préfère se focaliser sur la petite équipe constituée de Batgirl, Booster Gold, Blue Beetle et Harley Quinn, relativement amusante parce que sa dysfonctionnalité fait gag, mais assez en décalage avec la tragédie qui vient de se produire. Certes, on n’ose d’emblée pas y croire parce qu’elle implique trop de personnages majeurs, mais son postulat est au moins intrigant et l’aurait été davantage avec une narration à la hauteur d’un sujet aussi douloureux.
D’autant qu’après des numéros comiques et des numéros contemplatifs (qu’à cause du talent de King pour la pause réflexive/lyrique on n’osera pas appeler fillers même s’ils en donnent parfois la trop forte impression), la réponse à toutes nos interrogations surgit d’elle-même dans un fascicule entièrement consacré à des aveux que l’on n’avait pas du tout l’impression d’avoir « mérités » dans l’économie du récit d’enquête. Et sans divulgâcher pour le principe du divulgâchage l’identité du criminel, avouons que si sa crise n’est pas si mal trouvée, elle prend des proportions proprement psychopathiques qui ternissent radicalement l’image d’un héros plutôt apprécié sinon.
Bref il est difficile d’être satisfait par l’enquête menée et par sa conclusion, par la sensation que le chevalier noir est dépossédé de son propre rôle et même par le cadre génial de Sanctuary. Si ce dernier donne lieu à des planches délicieuses ou fascinantes (sans doute le meilleur de ce Heroes in Crisis), il peut paraître désespérément sous-exploité en fin de compte, plus gadget narratif qu’instrument pour repenser le super-héroïsme, surtout quand il s’autorise à désacraliser des personnages pour le seul plaisir de la vanne. Après tout, le mot-même de Crisis laissait entendre que la mini-série bouleverserait la Trinité voire la Ligue, expatriée d’une intrigue qui m’aurait passionné si elle s’était effectivement focalisée sur Superman, Wonder Woman et Batman.
Si l’intérêt était de montrer la faillibilité des dieux de cet univers, et donc a contrario la grandeur des plus petits, nul doute qu’il y avait mille manières de le faire de façon plus convaincante qu’avec un quatuor de clowns surpuissants – Superman admet même que Harley est « aussi bonne que Batman ». Le genre de phrase que l’on ne se permet que parce qu’on est à une époque où il faut vendre du Harley par palettes… Elle y est d’ailleurs délicieuse, et ses fans se réjouiront sans aucun doute de sa présence et de son écriture, s’ils viennent la chercher dans une aventure ne se vendant pas du tout sur son nom !
Tom King semble bien le comprendre, puisqu’il s’efforce de donner son petit rôle à l’homme de demain, dans un arc qui m’a paru particulièrement catastrophique : alors que les données collectées par Sanctuary sont supposées être immédiatement détruites, quelqu’un semble être parvenu à les récupérer pour les envoyer à Lois Lane.
Lois Lane qui annonce simplement à Superman qu’elle va les publier au nom de la « vérité » (parce qu’elle a une éthique, vous comprenez), celui-ci attendant qu’il soit trop tard avant de l’annoncer à la Ligue. En plein milieu d’une crise, elle doit donc de surcroît traverser une crise médiatique aussi importante que contingente… dont elle paraît se sortir assez bien par une jolie pirouette rhétorique, déclarant au monde qu’il peut avoir davantage encore confiance dans ses héros maintenant qu’il connaît leur profonde humanité, ce qui suffit pour que l’on passe à autre chose.
Curieusement, cela ne remet pas en cause la confiance de la ligue en Superman, et de tout ce beau monde en Lois Lane, qui n’a jamais manifesté à ce point d’opportunisme journalistique pour livrer un scoop au détriment des sauveurs du monde (y compris son mari)… Il y a évidemment de l’idée dans ce conflit, mais cela aurait donné une intéressante mini-série à part entière, avec le temps d’en traiter les enjeux, quand la journaliste apparaît juste ici comme une traîtresse que Clark devrait quitter sur-le-champ…
Lois permet d’ailleurs de parler d’un ultime défaut de Heroes in Crisis, qui vous surprendra peut-être parce qu’il est celui que l’on entend pourtant le plus vanter, ses dessins. Comme à son habitude, King fait appel à d’excellents dessinateurs, dont il sait tirer le meilleur même s’il se montre bien moins inspiré que dans un Mister Miracle ou même ses Batman. Clay Mann s’y fait particulièrement remarquer, et j’aurais aimé rejoindre le concert de louanges s’il ne souffrait d’une telle propension à l’hyper-sexualisation des héroïnes.
On avait reproché à Miller la Vicky Vale de Jim Lee dans All-Star Batman & Robin, the Boy Wonder, je ne sais pas comment on peut laisser passer la Lois Lane tellement plus érotisée de Heroes in Crisis. Et s’il n’y avait que ça ! Mais vous vous souvenez peut-être que la couverture du #7 avait fuité et fait polémique à cause de la posture du cadavre de Poison Ivy, au point que Tom King avait dû réagir en proclamant qu’il avait personnellement refusé cette couverture et qu’heureusement on s’était orienté finalement vers autre chose. Et difficile d’aborder le problème sans évoquer la fameuse planche de confession de Batgirl à Sanctuary, où elle montre ses cicatrices de la balle du Joker en exposant davantage sa poitrine, son entrejambe et ses fesses que ses blessures psychologiques.
On sait que le comics super-héroïque a parfois du mal avec la représentation des femmes, leur sexualisation rappelant leur statut de fantasme pour le lectorat masculin. C’est cependant particulièrement inconvenant dans une mini-série à ce point mise en avant pour son obscurité, son sérieux, le talent d’écriture de Tom King, et qui souffre à ce point de son incapacité à penser La Femme autrement que comme une pin-up.
Voilà une crise dont on peut se passer.
Et n’hésitez pas à donner des idées pour un prochain débat ! Il peut s’agir d’œuvres précises ou de sujets plus vastes (comme ceux que nous traitons dans nos Batcasts), faites-vous plaisir pour vous repaître ensuite du spectacle de nos bagarres !
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Un format intéressant que ce Versus!
Heroes In Crisis porte indéniablement les germes de ce débat, tant il est porteur d’un propos qui divise tant dans son fond que dans sa forme.
La forme : aborder les traumatismes des personnages de comics est-il réalisable sans raccourcis drastiques?
Le fond : l’auteur est-il à la hauteur pour aborder ce sujet sans tomber dans des poncifs vus mille fois?
Choisir ces Quatre Pas-Fantastisques que sont Harley, Batgirl, Blue Beetle et Booster Gold pour mener l’enquête au premier plan est un choix audacieux. Chacun des trois premiers a croisé la mort d’une façon traumatisante, Booster est quant à lui déplacé dans le temps, mort à son temps, ce qui le rend bon candidat pour cette bande des quatre.
Là où il y a un hic dans HIC, est que la notion de traumatisme est abordée en ne distinguant pas deux registres importants : le trauma fantasmatique, c’est-à-dire celui qui atteint la représentation d’un ou plusieurs événements et l’image de soi, et le traumatisme réel, c’est-à-dire celui immédiatement consécutif à un événement réel, et qui fait traumatisme parce que la personne a frôlé la mort de très près et s’est vue morte l’espace d’un instant. Ce sont donc deux notions différentes entre les traumatismes de chacun dans sa vie et le stress post-traumatique subi en situation de danger imminent.
Et dans une vignette, Harley Quinn se targuant de son diplôme de psychiatre fait la confusion.
Cependant, ces Héros en Crise recèlent de bonnes choses pour ma part. Les petites vignettes en 9 cases où l’on voit les héros parler d’eux permet d’entrevoir ce qui fait traumatisme pour la plupart, et cela rejoint les traumatismes des personnes ordinaires : la sexualité, la question des origines, la mort. Trois questions qui sont susceptibles de faire traumatisme puisqu’elles n’ont jamais de réponse définitive. La sexualité est abordée de façon métaphorique, comme le fait de “rapetisser au fond de son lit” ou de rêver “d’être transpercée d’une lance en pleine nuit”, mais cela formerait de bonnes interprétations freudiennes. D’ailleurs Harley Quinn cite Freud, mais pour l’interpréter à sa manière!
Nous avons des aperçus de ce qu’est véritablement le syndrome de stress post-traumatique à travers notamment ce qui survient à Lagoon Boy : cette impression de répétition, ces images flash sans fin qui ne cessent qu’après un traitement adéquat.
Enfin, l’auteur du drame illustre à sa façon combien une situation peut échapper, aussi “bonnes” soient les intentions. Mais face au deuil insurmontable et à l’habit devant être porté, trop lourd au vu de la détresse que personne dans ses camarades n’a décelée, alors la course pour fuir, nier, refouler, aboutit à une crise. Une explosion, un passage à l’acte qui à mon sens n’est pas psychopathique, mais plutôt le signe d’un court-circuit de la pensée engendrant un passage à l’acte, signe d’un débordement émotionnel.
Enfin, les puddlers sont des figures intéressantes, ça aurait bien de les voir davantage. Mais là encore la métaphore avec le travail sur l’élimination des impuretés par ceux qui aident et l’idée qu’ils sont imprègnent eux eux-mêmes, au risque d’en mourir, ou d’en porter le poids à leur tour, illustre bien cette image de celui qui aide, héros ou personne ordinaire, et qui absorbe les traumatismes de celui qu’il secourt. Et de savoir comment il s’en accommode. Comment il continue d’aider malgré tout. C’est la question du protagoniste du drame, une véritable question qui aborde la crise non comme une issue incontournable mais comme un moyen de devenir plus lucide sur soi-même et donc un peu meilleur pour aider.
Le rappel en introduction de l’histoire d’un traumatisme fondateur comme étant celui avec lequel l’histoire des héros a commencé pose d’emblée une clef de compréhension sur le rôle des héros : dépasser un traumatisme. Reste à savoir, pour chacun, lequel.
Merci pour cet article biface qui a donné à réfléchir!
Merci à toi pour ce bel argumentaire avec une vision très psychologique !
Je suis ravi que ce nouveau format amène à ce genre de réflexion/débat 🙂