Interview de Evry Insolente : Organisateur du procès de Batman
Publié le 14 décembre 2018 par Aliénor Drake
On l’a toujours attendu. On savait qu’à force de traquer les criminels selon ses propres méthodes, à force de les torturer, à force de narguer la police, Batman finirait par se retrouver devant un jury. Le timing faisant bien les choses, on a pu le lire dans Batman : White Knight, où Batman finit en prison (mais on n’assiste pas à son procès), ou dans Meurtrier et fugitif, dont le 2ème tome vient de sortir (mais c’est ici le procès de Bruce, sans que le tribunal ne sache qu’il est Batman).
Grâce à l’association d’éloquence Evry Insolente, vous pourrez assister au vrai procès de Batman, dans l’amphi 300 de l’Université d’Evry, ce jeudi 20 décembre à 18h. Batman Legend étant partenaire presse officiel de l’événement, nous vous en ferons un retour. En attendant ce jour fatidique, nous avons rencontré Sofiane Benslimane, un des organisateurs de l’événement pour qu’il nous en dise un peu plus sur ce mystérieux procès…
Bonjour Sofiane peux-tu te présenter et présenter l’association en quelques mots ?
Je m’appelle Sofiane Benslimane, j’ai 21 ans, je suis étudiant en droit et au sein de l’Association Evry Insolente je suis responsable communication. Pour ce qui est de l’association en elle-même, c’est une association qui s’est lancée en 2016 au sein de l’Université Val-d ’Essonne, on a pour but de promouvoir l’art oratoire, l’éloquence et l’exercice du débat parlementaire. On tient des permanences hebdomadaires sur les thèmes suivants : la prise en parole en public, la gestuelle d’un orateur, comment construire un discours, ce genre de choses.
Depuis 2 ans maintenant (en fait on s’était créés en 2015 mais l’association est active à partir de 2016) on est encrés dans la Fédération Française de débat et d’éloquence (FFDE) que vous pouvez retrouver sur facebook et plusieurs endroits. C’est une fédération qui régit plus de 30 associations sur tout le territoire français dans différentes universités, différentes écoles de commerce, différents IEP, Sciences Po St-Germain, Sciences Po Lyon, etc. Il y a le championnat de France de débat et d’éloquence qui est organisé chaque année au sein de cette fédération, pour lequel tous les clubs se rencontrent pour remporter le titre, et on a aussi pour mission de se développer localement. La culture de l’éloquence en France engendre 2 gros exercices phares : le débat parlementaire qui se transcrit au sein du championnat ou par les chocs amicaux, et les procès fictifs.
C’est une grosse culture en France, l’éloquence et le débat ?
C’est de plus en plus présent, c’est vraiment en plein essor, il y a eu pas mal de films qui se sont faits au cinéma, peut-être que vous avez entendu « Le Brio », « A voix haute ». Les médias essaient de plus en plus de s’approprier la chose, je crois qu’il y a France 2 qui va lancer un grand concours d’éloquence. On a été mobilisé sur l’année, on a reçu des publications, etc.
Après, les 2 fédérations qui existent en France font ça depuis 2012. C’est vraiment en train de se développer et c’est de plus en plus actif.
Pourquoi faire ce type de procès, est-ce que vous en avez déjà fait d’autres, ou d’autres hors pop-culture ? Pourquoi ce procès Batman ?
Le procès fictif, comme je le disais tout à l’heure, est un exercice phare en plus du débat parlementaire, parce qu’on a la chance, à Evry et dans pas mal d’autres universités, d’avoir souvent des étudiants en droit qui lancent ce genre d’association. Non pas qu’il faille être en droit pour faire de l’éloquence, loin de là, il y a besoin de beaucoup de différents sujets à traiter : ça peut être social, de la politique ou de l’histoire. Du coup, il y a toute cette sphère juridique qui se rattache souvent au milieu, et ça permet d’apprendre et d’initier les gens, même un public extérieur au monde étudiant et universitaire. Toute la structure du droit et de l’éloquence mais on rend ça un petit peu ludique.
Parce que le procès, c’est quand même un événement qui peut être ouvert à tous, c’est assez grandiose, il y a toute la part de mystique qui l’entoure. Et le fait de pouvoir faire des procès fictifs, ça permet de toucher à des personnages que tout le monde connaît, qui permet une mise en abîme un peu plus fantastique que je ne sais quel tueur en série ou voleur ou que sais-je, de la vie de tous les jours. Nous, on s’est arrêté à Batman, je ne vais pas mentir, c’est déjà parce que c’est un personnage populaire et donc ça pouvait attirer du monde, mais aussi parce que cette année, le bureau avait envie de créer un événement qui se voulait un peu plus sombre, plus ambivalent, et on voulait aussi démystifier cette image du héros que la plupart des gens connaissent.
Est-ce que c’est lié aux 80 ans de Batman l’année prochaine ?
On a un fan au sein du bureau qui connaissait cette information. Moi, personnellement et la plupart des autres membres (on est 6 au total dans le bureau), nous n’en avions pas connaissance, puisqu’on ne suit pas l’actualité comics, films, etc. On connaît le personnage, on apprécie l’univers, mais on n’est pas non plus des érudits en la matière. Mais c’est surtout pour cette ambivalence, parce que le personnage de Batman est assez riche, tout de même. Que ce soit par la culture DC comics, les films, etc., on avait vraiment matière à traiter, et à créer des situations juridiques avec les différents super-vilains qui existent. C’était vraiment pour ce côté « héros mystifié », et lui est déjà assez ambivalent, il est assez sombre, donc on voulait creuser cette piste.
Quels seront les enjeux de ce procès, comment cela va s’organiser, est-ce que, par exemple, l’issue est connue des organisateurs et des participants, vous savez le début, le milieu et la fin, ou y aura-t-il une sorte d’improvisation ?
C’est un peu des 2, parce que forcément, le format du procès en lui-même implique d’être un peu cohérents au regard de la procédure juridique qui existe. Le jury sera composé d’un juge fictif, d’ailleurs ce sera moi. Il y aura également un jury, et pour la qualité juridique on a mobilisé des professeurs d’université, un avocat, etc.
Il y a aura également le procureur, qui va s’occuper de porter l’accusation contre Batman ; il y aura l’avocat de la défense ; on a également mobilisé des témoins fictifs, des victimes fictives aussi. Les victimes seront le Joker, le Pingouin et Harvey Dent.
Ah mais vous parlez aux fans de Batman, là !
Voilà ! Le témoin de Joker sera Harley Quinn, le témoin de Harvey Dent sera Double-face : on veut jouer sur la dualité du personnage, sur sa double-personnalité. Et pour le témoin du Pingouin, on n’avait pas les connaissances nécessaires pour donner un témoin assez populaire, donc on a pris un homme de main du Pingouin, un personnage purement inventé mais qui aura un rôle de questions-réponses pour donner un peu de substance au procès.
Batman sera présent, j’imagine ?
Ah oui forcément !
En Batman ou en Bruce Wayne ?
En Batman, avec un très beau costume.
D’accord, donc pas de Bruce Wayne, c’est vraiment le procès du héros, pas le milliardaire, parce que nous en tant que fans, on dissocie les 2 personnages.
Oui, quand il n’endosse pas le costume il n’est pas le Batman et vis-versa. En fait on va jouer là-dessus aussi. On va faire le procès du Batman, ce qu’il est quand il a son costume, le justicier la nuit qui finalement, parfois, fait le mal pour faire le bien, mais la procédure juridique nous forcera à l’appeler M. Wayne et à le considérer comme un sujet du droit, classique. Ça va donc jouer sur ces 2 facteurs, et la personne qui joue Batman à l’occasion du procès aura un discours. Normalement, lors d’une procédure d’assises, c’est l’accusé qui se lève en premier et qui se présente. Là on va déroger un peu à la règle, il va bien se lever en premier et se présenter sur une petite tirade de 5 mn environ, dans laquelle il va dresser un portrait moral de la justice, de ce que peut représenter un justicier masqué, et pourquoi finalement il est favorable à répondre de ses « méfaits » aujourd’hui, puisque son seul combat a été la justice toute sa vie, et aujourd’hui il doit justement comparaître pour avoir rendu justice.
Finalement, une chose saute aux yeux, tu disais que tu ne connaissais pas grand chose au monde de Batman mais tu as l’air plutôt bien renseigné ! Côté organisation, comment s’est passée la préparation, vous avez mis combien de temps ? Est-ce que c’est le fan de Batman de votre équipe qui vous a aidé, ou vous êtes-vous aussi documenté sur l’univers de Batman ?
Finalement on a de la chance d’être tous de la même génération au sein du bureau, on a tous entre 19 et 23 ans, ce qui fait que même si on n’est pas des fans infaillibles, on a tous cette culture du comics qui est perméable, on a donc tous des références, que ce soit par les films ou certains acteurs qui nous ont marqué. Il nous a aidé aussi pour la partie « cohérence » du scénario, on a rédigé un cas pratique qui va s’appliquer au procès. Mais finalement, oui, on s’est documentés, on a regardé quelques comics, on a à nouveau regardé les films, on s’est documentés sur différents blogs, d’ailleurs j’ai jeté quelques coups-d ’œil sur votre blog, mais en fait ça nous a mis la pression parce qu’on s’est rendus compte qu’on avait affaire à de vrais fans ! Mais on va essayer d’être le plus fidèle possible à l’univers, mais en donnant une cohérence juridique.
Est-ce que tu peux dire que Batman est un sujet intéressant pour un étudiant en droit, et si oui, pourquoi ?
Je pense qu’au-delà du grand côté « héros » qui n’existe pas dans notre société actuelle, je pense que c’est un sujet plutôt intéressant, et on a décidé de l’exploiter pour ça dans notre procès fictif, dans le sens où il incarne ce que tout le monde connaît : c’est un super-héros mais on peut tous s’identifier à lui. Bruce Wayne est un homme, tout homme est soumis à la loi. Bon, c’est un milliardaire qui œuvre pour le bien. C’est le sujet ambivalent par excellence : est-ce qu’on peut rendre la justice, se battre pour une noble cause, tout en usant de violence ? Tout en combattant le crime par des actes illégaux eux-mêmes ? Est-ce qu’on peut mystifier ou honorer un héros sous prétexte qu’il est un héros ? Est-ce qu’il n’y a pas finalement, au lieu d’un contraste totalement blanc et noir, un peu de gris ? Est-ce qu’on peut laisser, juridiquement parlant, quelqu’un agir selon son bon vouloir sous prétexte qu’il veut rendre la justice ?
C’est un sujet compliqué, du coup ! Si vous rencontrez un cas comme ça, avez-vous envie d’assister à un tel procès ?
En tant qu’orateur oui (on a laissé nos adhérents plaider les dossiers), en tant qu’organisateurs, par contre, c’est moins drôle. Ça fait à peu près 1 mois et demi qu’on bosse dessus, sachant qu’à côté il y a les partiels, les études, etc.
A côté de toutes nos activités, c’est le seul procès qu’on comptait faire cette année. En fin d’année 2019, il y aura un autre grand procès, donc on avait plutôt l’intention d’être une introduction à l’exercice du procès fictif pour la fac, mais on s’est retrouvés à faire un truc beaucoup plus gros qu’on ne l’avait pensé.
Mais c’est intéressant, parce que ça ne devait être qu’un procès, mais ça a été tellement intense en terme d’organisation, qu’en terme d’autres procès, vous n’en aurez qu’un, c’est ça ?
Oui, ce sera aux alentours de mai 2019.
Ce sera sur quoi ? Pop culture aussi ?
A la base on voulait partir sur un autre objet pop-culture dont je n’étais pas forcément fan, une série mais je ne peux pas en dire plus, parce que si on reste sur cette idée il faut que ce soit une surprise. Mais c’est une série qui a fait fureur ces derniers temps. J’étais plus partisan du procès historique, c’est un autre aspect du procès fictif, tel que Louis XIV, Louis XVI ou Robespierre, et de refaire un procès dans le contexte de l’époque. C’est encore à discuter.
Vous ne l’avez jamais fait, un procès historique, au sein de votre association ? J’ai assisté au procès de Socrate au sein de la Sorbonne, c’était très intéressant.
Oui, c’est vraiment un autre format, mais qui est très riche, ça permet une justesse historique bien réelle alors que les personnages de pop-culture ça va plutôt être sur des questions de morale. Là on peut se fonder sur des preuves historiques donc c’est cool. Mais au sein de l’université d’Evry, on a fait un procès fictif l’année dernière. Le bureau actuel a repris en fin de mandat de l’’année dernière l’association qui commençait un peu à sombrer. On l’a fait renaître de ses cendres et on a fait le procès du Loup de Wall Street à cette occasion.
Ça devait être très intéressant !
C’était très drôle ! Mais un personnage bien moins complet que Batman.
Pour finir, qu’est-ce que votre association attend de ce procès de Batman, autre que pour vous exercer et exercer ceux qui vont participer ? Vous vous attendez à avoir beaucoup de monde, une reconnaissance, une certaine notoriété ? Parce que vous utilisez là un personnage assez populaire, qu’attendez-vous de Batman pour votre association ?
On attend environ 220 personnes d’après les comptes de la billetterie, il reste encore 40 places en ligne, donc on est déjà plutôt contents ! Les objectifs sont divers, on tente vraiment de se relancer cette année donc pour l’association on est satisfaits. Un procès fictif, c’est l’occasion de toucher encore plus de monde, on aimerait bien obtenir de nouveaux visages au sein de l’association ou des gens qui nous suivent. Ça fait aussi vivre le campus de notre université, on aime notre fac, on aime notre ville, on a envie de la faire vivre sur un domaine qui change de l’ordinaire. C’est cette volonté de partage, de montrer à des gens qui ne s’intéresseraient pas forcément à l’éloquence et au droit que c’est accessible à tous, par le biais de ce genre d’association, de donner envie aux gens d’essayer l’art oratoire, que ce soit chez nous ou ailleurs.
Slimane nous a lu en exclusivité le cas pratique du procès, qui sera bientôt publié sur la page de l’événement. A suivre sur leur événement facebook, sachant qu’il reste donc encore un petit nombre de places, dépêchez-vous ! 😉
On reste connecté ? 🙂
Retrouvez-nous sur Facebook, Twitter et Instagram.