Quand “The Dark Knight Returns” illustre l’évolution sociétale : Interview d’un Docteur en Sciences Sociales
Publié le 22 novembre 2018 par Andresy
A la Comic Con de Paris 2018, la team Batman Legend (enfin, une bonne partie) a religieusement assisté à la conférence de Frank Miller et Andy Kubert. Même s’il a été plus que frustrant de ne pouvoir approcher la Diva, cette conférence nous a laissé de beaux moments, en particulier, une séance de questions de l’assistance aux deux conférenciers.
Et l’une d’entre-elles nous a fait découvrir un inconditionnel du Dark Knight qui a écrit une thèse sur le sujet. Vous imaginez bien que le Team Batman Legend ne pouvait laisser passer cette occasion de réaliser une interview de celui qui souhaite garder son pseudo « Polo ». Une Thèse sur le Batman ! Avons-nous trouvé le premier Docteur en Batman ? La réponse dans les lignes qui suivent….
Polo, une question formelle pour commencer… Quel est le titre de ta thèse et dans quelle discipline l’as-tu rédigée ? Une thèse sur Batman, c’est rare (sourires)
En vérité, il ne s’agit pas réellement d’une thèse sur Batman. Elle a pour titre « Comics et évolution sociétale, quel héritage pour le fantasme du masque face aux problèmes endémiques ? ». Elle a été soutenue au Luxembourg dans le champ des « Sciences Sociales », plus précisément dans la thématique de l’évolution sociétale, il y a quelques années maintenant. Et pour être franc, j’illustre le thème essentiellement avec deux exemples : « The Dark Night Returns », de Frank Miller, mais également « Watchmen » d’Alan Moore & Dave Gibbons. Mais devant Miller, j’ai préféré ne pas trop parler de Moore… la réponse aurait tourné court (rires)
Comics et évolution sociétale … Tout un programme, pourrais-tu nous en dire plus ?
J’ai étudié comment le média (ici le comic, issu de la pop-culture) et la société ont évolué de façon entremêlée. Jusqu’au milieu des années 1980, les comics ont eu tendance à suivre les évolutions sociétales. On peut citer plusieurs exemples : Hulk était gris à l’origine. Il est devenu vert pour illustrer la peur du nucléaire. Captain Marvel (le premier Mar-Vell) est mort du cancer, parce-que le sujet de cette maladie devenait un enjeu social. Les comics ont parlé d’homosexualité, de racisme (l’allégorie des X-Men). On a vu apparaître des super-héros noirs.
Oui. Tout comme la libération de la Femme, avec des personnages comme Wonder Woman, Phoenix, … Et Batman dans tout ça ?
Dans le cadre du Dark Knight, on est dans l’illustration d’une dérive sécuritaire de la société, du désengagement et de la non-responsabilité des politiques. Et dans le cadre de la vieillesse, Miller nous montre un Batman extrêmement amer. Ce qu’il n’était pas auparavant. Il y a donc une fresque humaine qui colle à l’évolution, qui est collée au contexte politique : que devient le monde, qu’est ce qu’on en fait. Et la question que j’ai posé à Miller, en substance « Que peut faire Batman pour faire évoluer, changer le monde ? » il a répondu, finalement très partiellement « Il ne peut pas ».
Une réponse « à la Miller »
Oui. Du coup, que veut faire Miller de son (!) personnage ? Il va mourir .. Enfin… Non… C’est le Dark Knight (rires) mais derrière, il se passe quoi ?
C’est dans ce cadre que tu fais un parallèle avec les « Watchmen » ?
Oui. L’écriture est différente. Moore part de concepts et Miller est plus dans la satire. Dans « Watchmen », chaque personnage est un concept : le suiveur, la négativité, le raciste .. Mais au fond, au bout de X lectures, on se rend compte que Moore parle essentiellement d’une chose : de la fin de la civilisation occidentale. Et le thème du « Dark Knight Returns » est assez similaire : comment va mourir la cité Babylonienne de Gotham. Une thématique semblable en mode « micro ».. Enfin, selon moi… Mais ce qui est frappant, c’est que dans ces deux cas, les comics n’ont pas suivi les évolutions sociétales, mais les ont anticipées.
C’est un point de vue très intéressant. Qu’est-ce-qui t’a poussé à réaliser ce travail ? Quelle a été ta démarche ? Un travail de thèse, en général, ça « vient de loin »… Peux-tu nous en dire plus ?
(sourire) Ici, j’avoue que c’était surtout la volonté de ne pas faire un truc « chiant » … Et faire vraiment, au moins une fois dans ma vie, un truc qui m’intéressait (ndlr : La Team Batman apprécie ce point de vue).
Comment as-tu trouvé une direction de thèse et quelle a été la position de l’Ecole Doctorale ?
Il a fallu y aller « aux forceps ». Passer outre les préjugés et les lieux communs « les comics, c’est pour les gamins » et arriver à faire mettre le doigt sur les questions intéressantes que l’on peut extraire. Le terme à la mode : disruptif. Si tu arrives à montrer que les choses vont bien au-delà du simple « blanc ou noir » et démontrer que le dessin n’est qu’un vecteur à une thématique plus profonde, alors, tu peux arriver à « les » convaincre.
As-tu pu ensuite « rebondir » après cette thèse ? Continuer sur cette thématique
Non, pas tu tout. C’était juste un kif. Et aujourd’hui, je suis ingénieur en optimisation de processus (rires). Le monde de la recherche est au final assez ch… (rires). Mais ce que j’ai voulu faire, finalement, c’est aller un delà de tout ça. Je lis des comics depuis que je suis tout petit. Je crois me souvenir que les premiers mots que j’ai écrits sont « Tony Stark » (rires). On me prenait vraiment pour un attardé. Alors avec ma passion pour Batman, on me prenait un peu pour un naze. En plus, il y avait eu les films ridicules sur Batman (ndlr : les lecteurs comprendront) et le souvenir de la série des années 60. Ce que j’ai voulu montrer, c’est que c’est beaucoup plus complexe et profond que ça en avait l’air. Et ça, ça me plaisait. D’ailleurs, « Watchmen » et le « Dark Knight » sont des ouvrages qui nécessitent plusieurs (et même de nombreuses) lectures pour en comprendre toute la complexité. On est sur des satires politiques très profondes et même, des romans d’anticipation, sur bien des points.
Cela rappelle d’autres œuvres
Oui. On peut citer « 1984 » ou « Soleil Vert » le film avec Charlton Heston. Ces œuvres ont beaucoup de points en commun et on est sur de la vraie anticipation, qui est très très intéressante. La société décrite dans « Watchmen » n’est pas loin de l’Amérique actuelle
Moore et Miller ont donc des points communs
Oui. Mais je pense que Miller va plus dans le psychologique. Pour revenir à Batman, avant Miller, le Dark Knight était vu comme une sorte de super-pompier qui escaladait les toits pour aller sauver les gens et éventuellement castagner le méchant. L’archétype du héros parfait. Miller va donner ses lettres de noblesse, cette essence cachée du vigilante. Après, il y a toujours ce débat : C’est quoi Batman ? C’est beaucoup de choses, en fait. Si on commence à les aligner, cela donne un sacré profil psychologique !
On toujours pensé, à la Team Batman Legend, que c’est ce qui rendait le personnage intéressant.
Oui. Entre autres. Il y a beaucoup de choses très intéressantes dans Batman. Miller a marqué la fin du personnage manichéen. Il le fait clairement mieux que quiconque, et pas seulement sur Batman, mais également, par exemple sur Daredevil (Man Without Fear, Born Again) ou Ronin. La différence par exemple entre Batman et le Ronin, c’est que le Ronin condense toutes les psychoses de Miller. Son univers est plus ouvert et Miller ne peut pas se permettre ça avec Batman, car, du fait du personnage, il est obligé de respecter certains « canons » incontournables.
A propos de ces incontournables… Y-a-t-il d’autres œuvres de Batman qui t’ont marqué ?
J’ai beaucoup aimé les runs de Jeph Loeb. Il y a vraiment des trucs sympas : « Long Halloween », « Amère victoire ». J’aime beaucoup aussi le run de Snyder avec Greg Capullo
Celui qui démarre par la « Cour des Hiboux » ?
Oui. Je trouve ça vachement bien. Même si c’est un peu inégal. Après, au niveau cinéma, j’ai aimé ceux de Nolan. Mais sans plus. Parce ce que ce n’est pas le « Batman que j’aime » qui est dedans. Par contre, j’ai aimé le Batman de Ben Affleck. Bon. Les films sont nazes mais selon moi, au ciné, c’est le meilleur Batman. Si on pouvait avoir Nolan qui faisait un Batman avec Ben Affleck, ça m’irait ! Mais bon, pas sûr que ça arrive (rires)
Oui. Hélas. En tous cas, merci de nous avoir accordé ce petit moment. C’était très sympa et complètement improvisé.
Avec plaisir. Merci à vous. Continuez comme ça. Votre site est vraiment cool !
ndlr : cette dernière réplique – authentique – est extraite d’un échange postérieur à l’interview. Mais que nous nous faisons une joie de retranscrire 🙂
On reste connecté ? 🙂
Retrouvez-nous sur Facebook, Twitter et Instagram.